Retour sur le 37ème Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 de la Chaire ESCP BearingPoint Retailing 4.0

La supply chain est aujourd'hui plus que jamais au cœur de la compétitivité des entreprises. Complexité à prévoir la demande accrue par la crise de la Covid-19, mondialisation et rareté de certains composants viennent s'ajouter à un souhait des consommateurs de personnalisation de l'offre, d'écoresponsabilité et de traçabilité et conduisent à la nécessité de développer une supply chain unifiée, résiliente et agile. Le développement des nouvelles technologies (IA, machine learning…) est une opportunité pour construire cette supply chain 4.0. Pour traiter ce thème, le Professeur Olivier Badot, Directeur de la Chaire et Elisabeth Denner, Présidente de la Chaire, accueillent :
- Le Professeur Eric Ballot, MINES-ParisTech,
- Pierre-Yves Escarpit, Directeur Général Adjoint de CDISCOUNT,
- Lois Guillemaille, Client Partner chez AERA Technology,
- Geoffrey Zone, Manager, Expert practice Supply Chain chez BearingPoint.

Le Professeur Éric Ballot, professeur à Mines-ParisTech en systèmes de production et logistique, rappelle tout d’abord les origines du commerce unifié. Il s’est mis en forme dans un contexte où le commerce et la distribution ont évolué d’un canal de consommation unique à une juxtaposition de canaux de distribution, puis vers des stratégies cross canal et omnicanal, pour un parcours client plus intégré entre les différents canaux, physiques et/ou en ligne.
Le commerce unifié apporte donc une expérience d’achat fluidifiée, malgré l’absence de linéarité dans le parcours, comprise d’allers et retours entre les canaux. Il matérialise une forme de fusion des services et des canaux des entreprises. 
Le Professeur Éric Ballot note deux grands points de départ pour la mise en œuvre de ce commerce unifié : les pure players et les commerces physiques. Depuis la crise sanitaire notamment, qui a conduit à la fermeture de nombreux commerces, de nombreux commerçants « traditionnels » ont accéléré ou entrepris leur transformation digitale. Autrefois réservée aux plus grandes entreprises, elle devient désormais accessible et nécessaire à tous.

La complexité logistique dû à l’émergence du commerce unifié

I.    La fragmentation des flux

D’un point de vue logistique, au sein d’une logique monocanal, il s’agissait alors de « gérer une arborescence de références, qui se décline par nombre de points de vente », explique le Professeur Eric Ballot. La complexité logistique tient alors du fait du produit lui-même, de la largeur de l’assortiment et du nombre de points de vente dont une enseigne dispose. Le parcours logistique demeure toutefois très indépendant, « on ne remonte pas, on ne croise pas, le parcours est linéaire pour chacun des produits ».
Dans une logique multicanale, lorsqu’un consommateur est concerné par différents canaux de distribution, de la complexité s’ajoute au parcours logistique. Les multiples canaux travaillent indépendamment, les flux sont fragmentés, induisant une perte d’efficacité logistique.
Avec le commerce unifié, la logique des canaux se trouve transformée en une combinaison complexe de gestion des réseaux de distribution. 

II.     L’impact environnemental 

Le commerce unifié, compte tenu de la fragmentation des flux et donc de leur augmentation, pose la question des impacts liés aux schémas de livraison : des véhicules lourds de la périphérie au cœur des villes, des véhicules légers jusqu’au point de vente en proximité, etc. Leur utilisation doit être pensée pour satisfaire les attentes des consommateurs et limiter l’impact écologique de la chaine logistique. En effet, les différents canaux choisis ne sont pas neutres au niveau environnemental. Certains canaux sont à privilégier en termes énergétique, pour faire face à une progression exponentielle des flux logistiques depuis le XIXème siècle. La pollution de l’air, la congestion du trafic, les émissions de gaz, etc. sont autant d’enjeux que la supply chain de demain, pour un commerce de plus en plus unifié, devra relever. 

III.       L’impact des réseaux logistiques

Par conséquent, l’impact des réseaux logistiques se révèle essentiel. Aujourd’hui, en France, de nom-breux réseaux restent « silotés » et peu peuvent s’offrir individuellement la possibilité d’un stock-age agile. Il serait plus intéressant d’avoir accès à un réseau composé de multiples services, intégrés les uns avec les autres. La société chinoise YH Global opère comme prestataire de choix pour le stockage en proximité de marchandises multi-distributeurs (physiques ou e-commerce), ou multi-marques. Cette mutualisation du stock à proximité des consommateurs semble répondre au phénomène de dénombrement et de fragmentation des flux logistiques, ainsi qu’à leur impact environnemental. Cette évolution vers des flux au sein d’un réseau interconnecté de prestations logistiques, concentré, ramené au sein de hubs communs reste disruptive. Elle permettrait la diminution des stocks, des émissions (avec des flux suffisamment importants pour optimiser des moyens de transports lourds), et la valorisation de l’ensemble des capacités logistiques disponibles de façon pérenne et organisée. Le consommateur bénéficierait en outre d’un meilleur service.

C-Logistics : témoignages et visions au sein de la supply chain chez Cdiscount 

C-Logistics, filiale supply chain du pure player e-commerce Cdiscount, développe depuis de nombreuses années une réelle expertise logistique, avec quelques 23 millions de colis livrés, dont 30% pris en charge pour le compte de clients tiers. La conviction d’une digitalisation de plus en plus forte de l’économie rend compte de leur stratégie.
Demain, de plus en plus de commerçants devront faire appel à des spécialistes de la supply chain, pour déléguer leur chaine logistique, et se concentrer sur leur métier, la vente, le conseil, le marketing, etc. Des millions d’euros ont été perdus du fait de cette incapacité à gérer les commandes dans un tel contexte. Le e-commerce devient donc un tournant obligatoire et ce tournant doit se faire à marche forcée pour certains. Pour eux, cela pose question : comment gérer le e-commerce aujourd’hui ? 
Comment doit-on construire une logistique capable de répondre aux nouveaux enjeux ?
Pour le directeur général adjoint de Cdiscount, Pierre-Yves Escarpit, un élément de différenciation fort des supply chain des entreprises sera leur capacité à travailler en très grande agilité, dans le contexte d’un commerce unifié. L’émergence d’entrepôts capables de livrer autant les magasins que les clients finaux devient le format idéal de supply chain, ce qui induit une certaine forme de complexité. Lorsque les volumes de transactions croissent comme durant la crise sanitaire, les stocks B2B doivent être séparés des stocks B2C pour répondre plus facilement à la demande et offrir une vision sans couture au lient. Concrètement, cela signifie que la préparation des commandes en palettes évolue vers la gestion de références à l’unité, passant ainsi de 6 000 références à 25 000.


I.    Trois axes de différenciation pour la chaine logistique du commerce unifié 

Ainsi, la supply chain qui accompagne cette transformation du commerce unifié vers plus de digitalisa-tion, s’appuie sur 3 axes majeurs de différenciation : 
(i)    Des entrepôts innovants et automatisés pour densifier les surfaces, accélérer les flux, stocker plus de références et livrer encore plus rapidement. 
(ii)    Des entrepôts optimisés, rapides, et sur-mesure, pour répondre aux différents modes de livraison souhaités par les clients, et donc, à leurs besoins à un instant donné. 
(iii)     Une supply chain responsable : « il n’y aura pas demain de futur à la supply chain si elle n’est pas responsable » affirme Pierre-Yves Escarpit. C-Logistics privilégie donc les expéditions de colis sans vide, à la livraison électrique, via TGV, etc.

II.    Une supply chain améliorée par des technologies de pointe et une livraison adaptée

L’entreprise Cdiscount a été la première à utiliser des technologies de pointe, notamment grâce à une politique et une stratégie d’open innovation. Dans cette optique, C-Logistics a créé un incubateur spécialisé dans la supply chain e-commerce.
Ainsi, l’entreprise collabore avec Exotec pour la création et la mise en place de robots de stockage et de picking 3D. Cette innovation permet à l’entreprise de multiplier sa capacité de stockage et sa productivité par cinq. Avec NoMagic, C-Logistics a pu développer un bras robotisé articulé, combiné à un système d’Intelligence Artificielle, afin d’améliorer le processus d’emballage, l’optimisation des conditions de travail, et l’amélioration de la productivité. Enfin, des machines d’emballages 3D sont co-développées avec Quadient & Panotec pour ajuster la taille de l’emballage au volume des produits. Cette innovation permet de réduire de 30% le volumes des colis, de 30% le volume de consommables utilisés pour les produire, et de 10 000, le nombre de camions sur les routes. 
A ces innovations technologiques, qui rendent C-Logistics l’une des entreprises logistiques les plus compétitives du marché en termes de supply chain pour le commerce unifié, s’ajoute la pertinence du système de livraison lui-même. La livraison constituant aujourd’hui le seul contact physique entre un client et l’enseigne, il s’avère nécessaire de connaître les attentes des acheteurs : généralement, une livraison rapide, flexible et d’un haut niveau de qualité. La tendance se rapproche même de la livraison à J+1 voire le jour même. Par ailleurs, près d’un client sur deux choisit une livraison en point retrait, notamment pour les plus petits produits. Il doit donc avoir le choix du type de livraison/retrait le plus adapté à un instant donné. Outre la grande disponibilité et agilité que cela implique au sein des entrepôts, l’entreprise met en place des collaborations avec d’autre partenaires comme la SNCF pour un remplissage des soutes des trains lorsque celles-ci sont vides au départ des TGV, Chronopost ou de nombreux points retraits pour effectuer ses livraisons.

Pour plus d’agilité et d’automatisation des processus logistiques 

Jeune entreprise créée depuis environ 4 années, Aera Technology a pour objectif de changer la façon dont les décisions sont prises au sein des entreprises, de les rendre plus agiles, notamment à l’égard de leur process tout au long de la chaîne logistique, afin de répondre aux besoins du commerce unifié. 
Aujourd’hui, les processus de supply chain sont impactés par de multiples besoins émergeants, de nouvelles exigences de la part des consommateurs. On assiste à une démultiplication des produits, dotés de cycles de vie de plus en plus courts, à davantage de références entre les canaux… La prévision et la planification doivent laisser la place à l’agilité et la rapidité. Augmenter le nombre de Planners dans les entreprises ne suffit plus. Il faut adopter de nouvelle technologies basées sur l’intelligence artificielle.
Cette transformation s’avère difficile à mettre en place pour de nombreuses entreprises qui ne sont pas nées avec Internet ou le Cloud. Grâce à Aera Technology, ces entreprises peuvent évoluer vers ce nouveau paradigme attendu du commerce unifié, avec des prises de décision structurées, automatisées, et digitalisées, comme un de ses clients qui a ainsi multiplié par dix son retour sur investissement.
Il s’agit tout d’abord que l’entreprise développe sa capacité à se connecter aux données disponibles en interne mais aussi à celles disponibles en externe. Une fois les données synchronisées, la solution Aera Technologie établit des recommandations, identifie les risques et les opportunités, et apprend sur le long terme, à la fois des données collectées et du Planner lui-même. Ensuite, l’entreprise délègue de plus en plus de tâches à la solution implémentée jusqu’à une intégration totale des décisions et un suivi du résultat par Aera Technology. In fine, le Planner se connecte au système, consulte les différents états correspondants à différentes alertes et traite quelques problèmes, nécessairement minimes. L’entreprise devient plus agile, plus efficace, grâce à l’ensemble des micro-optimisations permises par la technologie Aera. 
Dans cette recherche d’agilité, on peut également évoquer la solution française Kardinal qui optimise le plan de transport d’une entreprise en temps réel. Elle prend en compte les commandes tardives, d’éventuelles modifications d’adresses de livraison une fois le plan de transport initié, des contraintes de trafic, des indisponibilités produit, des reconfigurations de prise en charge des marchandises, et autres aléas. Tous ces éléments permettent l’optimisation de l’empreinte carbone liée au transport, son coût, et assurent un niveau de satisfaction client élevé via la garantie de disponibilité des produits et la fiabilité des dates de livraison prévues. 

Conclusion

« Particulièrement mis en lumière par la crise Covid, on se rend bien compte à quel point la logistique est devenue un sujet stratégique majeur, et hautement différenciant » conclut Elizabeth Denner. En 2020, le e-commerce a fait un bon de 5 ans et beaucoup de marques ont été incapables de satisfaire les commandes qui leur ont été passées, parce que justement, cette logistique n’était pas efficiente.
Cette dernière décennie, les entreprises se sont davantage concentrées sur les activités de front office. Elles doivent aujourd’hui intégrer le commerce unifié et les évolutions de la supply chain liées à ce nouveau format commercial. Les années à venir, post-crise sanitaire, seront à n’en pas douter, celles de la supply chain.
 

Campus