Fin de la voiture thermique : la concurrence, un impératif pour atteindre l’objectif européen

OPINION. Face à la coalition menée par l’Allemagne pour revenir sur l’interdiction de la vente de voitures thermiques dès 2035, l’UE doit rester ferme sur les principes de son fonctionnement économique. Par Anna Souakri, ESCP Business School et Jean-Marc Daniel, ESCP Business School

Le 7 mars 2023, alors que le Conseil européen s'apprêtait à voter définitivement l'interdiction des ventes des voitures thermiques neuves à moteur thermique sur le sol européen à partir de 2035, coup de théâtre : l'Allemagne, dont la voix est indispensable pour faire approuver la mesure, et une coalition de 6 autres pays européens bloque le vote du texte, dès lors reporté à une date indéfinie. Un pas en arrière vers la transition verte...

À peine quelques jours après, la Commission européenne, représentant l'ensemble des pays membres dont les frondeurs sur la fin du thermique, dévoile son plan de réplique à l'Inflation Reduction Act américain (IRA), le Net-Zero Industry Act, soit un plan de compétitivité fondé sur l'accélération de la transition verte. Un pas en avant vers la transition...

On avance, on recule ? C'est une Union européenne (UE) devenue Janus avec un visage pro-transition et un visage procrastinateur, de même qu'un visage pro-concurrence contraste avec un visage protectionniste. La conséquence de telles contradictions : la perte de crédibilité quant à la réalisation de ses objectifs et le retard dans la course à la transition écologique.

Une avance à conserver

Pourtant, l'UE semblait bien partie pour s'affirmer comme leader mondial de la transition avec son dynamique écosystème vert constitué d'entreprises innovantes soutenues par la « Banque européenne du climat », comme aime à s'appeler la BEI (Banque européenne d'investissement). Cette dernière réaffirmait fin février sa volonté de redoubler son soutien aux initiatives vertes en faisant de la transition la destination principale de ses financements, au-delà du niveau déjà honorable de 60 % réalisé sur 2022.

L'UE semble en outre particulièrement en avance sur la technologie d'avenir qu'est l'hydrogène vert, avec de nombreux projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), la première place mondiale en nombre de brevets (classement de janvier dernier de l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE) et un embryon de banque à hydrogène.

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Cette position de favori est confirmée par les investisseurs étrangers qui perçoivent l'UE comme particulièrement attractive en raison de l'ambitieuse politique verte communautaire en faveur de la transition et de sa réglementation avancée en la matière, notamment avec le mécanisme de taxe carbone aux frontières (MACF) dont l'entrée en vigueur est prévue dès cet automne.

Cette avancée réelle a le mérite d'œuvrer à réinternaliser les externalités négatives sur la sphère écologique tout en respectant la concurrence grâce au signal-prix, dont la revalorisation du prix de la tonne de CO2 au-dessus des 100 euros laisse à penser qu'il sera très efficace.

À condition de ne pas le détricoter à force d'exonérations et de reports sine die, ou de multiples subventions déguisées à la pollution sous forme de dépenses exceptionnelles de réduction de la facture énergétique (comme le bouclier tarifaire en France) qui ont atteint en Europe le record de 350 milliards d'euros sur 2022 d'après l'AIE.

Il faut fixer des objectifs clairs et cohérents et s'y tenir pour donner la certitude aux entreprises et aux investisseurs qu'on ne reviendra pas en arrière. Il est impératif d'ancrer les anticipations des acteurs sur un horizon fixe et certain pour pouvoir enclencher le jeu de la concurrence et son mécanisme de contestabilité des marchés et de débloquer les investissements privés. Toute forme de renoncement de l'UE désincitera les acteurs à accélérer dans la transition et fera rétropédaler ceux qui avaient pris de l'avance sur l'atteinte de l'horizon 2035.

Éviter « la tragédie des horizons »

Le constructeur français Renault a ainsi pivoté sa stratégie sur les voitures propres avec son pôle Electricity et la scission de ses activités en deux entités aux stratégies différenciées pour rester compétitif dans un marché concurrentiel : Ampère, dédiée aux véhicules propres une stratégie de sophistication avec une offre de qualité supérieure à un prix plus élevé destinée au marché européen ; Horse, les véhicules thermiques destinés aux marchés émergents sur à une stratégie d'optimisation des coûts, la rentabilité sur cette offre traditionnelle bien maîtrisée devant alimenter le financement de la sophistication verte.

Mêmes positionnements sur le premium de l'offre de voitures propres chez Stellantis, avec d'autres acteurs comme l'américain Tesla ou le géant français de l'énergie TotalEnergies sur l'équipement en bornes de recharge de son réseau de stations-service, qui démontrent le rôle décisif de la concurrence pour développer une offre alignée avec les impératifs de la transition énergétique.

La concurrence favorise la contestabilité des marchés (permettant à de nouveaux producteurs de se joindre ou de se retirer des conditions qui leur conviennent) et son cortège d'innovations indispensables pour dépasser la frontière technologique de la transition (le niveau le plus avancé de la recherche à un moment donné) et de prendre un coup d'avance sur les solutions de demain. En théorie, une économie rendue contestable par la concurrence conduit à une sophistication de la proposition de valeur des offres et à une valeur partagée pour tous : qualité de service et prix plus bas au bénéfice de la demande ; plus de rendements de l'innovation et d'échelles et d'attraction des ressources rares au bénéfice de l'offre.

Plus l'UE reporte ses objectifs et cède aux pressions protectionnistes, plus elle s'enfermera dans « la tragédie des horizons » sur laquelle alertait l'ancien banquier central canadien Marc Carney, et son retard sera irrattrapable. Elle gagnerait à rester cohérente avec son principe fondateur de la concurrence et ses « quatre libertés fondamentales » (circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes) pour attirer les capitaux nécessaires à la transition et les infrastructures indispensables à sa diffusion (comme les bornes de recharge électrique) et son acceptabilité.

À l'heure où les États-Unis s'égarent avec du protectionnisme dont ils auront à assumer le revers plus tôt que tard comme l'illustre l'accord tout récent sur le nouvel oléoduc en Alaska, concession exigée des puissants lobbys d'hydrocarbures, l'UE doit rester ferme sur ses engagements et fidèle à la concurrence dont les vertus accéléreront la transition et sa diffusion avec des solutions accessibles. Il est temps de passer du greenwishing (« l'envie de vert ») comme ironise l'économiste américain Nouriel Roubini, au green-enacting (« l'action verte ») grâce à la concurrence ; un positionnement gagnant vecteur d'une compétitivité et d'une attractivité certaines.

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Par Anna Souakri, Affiliate Professor in Strategy/Innovation, ESCP Business School et Jean-Marc Daniel, Emeritus associate Professor, Law Economics & Humanities, ESCP Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 3
à écrit le 19/04/2023 à 15:59
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Comme tout objet de consommation, c'est la publicité qui fait "le nerf de la guerre" et non pas l'interdiction ! La "drogue" ne fonctionne pas autrement ! ;-)

à écrit le 19/04/2023 à 10:25
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Pour moi c'est le marché qui fixe les objectifs et non l'UE .A travers la course aux innovations des tendances vont émerger et en général ce sont les premiers partis qui s'imposent sur le marché et imposent leurs modèles à leurs concurrents. D'ici 2...

à écrit le 19/04/2023 à 10:02
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La concurrence, la sacro-sainte doxa des mondialistes de tous poils. Nous avons des voitures coréennes et déjà des chinoises (je mets les Tesla dans le lot) à tous les coins de rue (alors que leurs marchés sont fermés aux productions européennes). L'...

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