Retour sur le 30ème Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 « Expérience client, traçabilité... la RFID change-t-elle la donne ? »

Désormais, une majorité des entreprises utilisent chaque jour les technologies de l’information et la communication afin d’améliorer leurs processus, leur relation clients et la coordination de leurs projets. Un site Internet, un réseau social, ou le stockage dans le cloud, s’inscrivent en première ligne. Peu à peu, la technologie RFID s’introduit dans le monde l’industrie, y compris celui de la distribution. 
En France, près de 195 000 entreprises font usage de tags pour suivre leurs produits[1]. Au-jourd’hui, ce marché représente 20 milliards de dollars US, dont on anticipe le double en 2025[2]. La Chaire “Retailing 4.0“ ESCP & BearingPoint pose pour son 30ème Petit déjeuner, la question des bénéfices et risques liés la RFID.

Dans ce cadre, Madame Elisabeth Denner, Présidente de la Chaire et associée chez BearingPoint ainsi que le Professeur Olivier Badot, directeur scientifique de la Chaire, ont invité le 23 septembre 2020 :
-    Le Professeur Wei Zhou, directeur du Master “Big Data & Business Analytics“ à ESCP,
-    Madame Marion Revol, Manager Produits Connectés chez BearingPoint,
-    Le Directeur du programme RFID d’une grande maison de luxe,
-    Madame Estelle Huynh, VP Produits et Luxe chez Mojix.

 

 

Naissance de la puce RFID

La RFID n’est pas une nouvelle technologie puisqu’elle remonte aux années 40 mais elle appa-raît ces dernières années comme le nouvel axiome pour la transparence et  la traçabilité[3] des produits sur le marché. L’acronyme fait référence au terme anglais “Radio Frequency IDentification”, soit l’identification par radiofréquence d’un objet ou produit. Pour ce faire, un tag est accolé à l’objet ou le produit, composé d’une puce avec un numéro de série unique et d’une antenne, généralement de très petite taille, robuste et consommant très peu d’énergie. Via des lecteurs spécialisés, les tags sont détectés automatiquement à chaque étape de production ou de distribution. 
Le tag RFID possède la même fonction qu’une étiquette avec code barre, mais est parfaitement autonome. En effet, l’étiquette traditionnelle permet déjà, en la scannant, de suivre le parcours d’un produit dans une économie mondialisée. Il s’agit cependant de ne pas oublier de scanner un produit de façon unitaire, souvent parmi beaucoup d’autres quasi-identiques, ou de ne pas endommager pendant le transport, l’étiquette à scanner, généralement conçue en carton ou tissus. 
Le tag RFID, héritier de l’étiquette avec code barre, échappe donc à ces contingences tout en accélérant la circulation de l’information. Il promet un traçage précis, retranscrit automatique-ment et en temps réel sur une plateforme logicielle, hors de l’erreur humaine. De la sorte, il constitue un avantage discriminant pour les entreprises dans leur écosystème productif, mais il représente également un enjeu de relation avec le client et son expérience. Enfin, le tag RFID pose des questions d’intérêt social. En effet, la traçabilité est-elle toujours bénéfique ? 

Les enjeux de la RFID pour les entreprises

I.    Vers une logistique intelligente

Le tag associe chaque objet ou produit à un numéro d’identité unique. Le produit prend grâce au tag une identité connectée. Le personnel le trace par le biais d’un logiciel et décide de la gestion de ses stocks, entreposés ou futurs, influençant ainsi la prise de décision. Il mesure le nombre exact de défaillances à tout moment de la production.
Cette technologie d’identification automatique entraîne également l’augmentation de l’influence des processus dans la prise de décision. La donnée, concrétisée sur une interface Web, crédibilise l’ensemble des étapes du chemin d’un produit. L’information étant transposée en une variable, généralement quantifiable, la marge d’erreur est réduite. Chez Mojix, presta-taire offrant des solutions RFID pour les commerces, la traçabilité est fiable à 99%. La traçabilité des produits permet aux équipes opérationnelles de faire un bilan interne de leurs capacités de fabrication. L’expérience acquise par une entreprise durant des années de production s’accélère par le levier du tag RFID, offrant ainsi un suivi avec une précision accrue.
La technologie RFID reprend alors aux statistiques des compétences visant à anticiper le continuum opérationnel. Les données acquises sur les défauts de production, vitesses de production, distance de transport parcourues, permettent, dans une analyse prédictive, d’anticiper les coûts opérationnels et de planifier les stratégies.
L’optimisation des processus, en conséquence, permet d’économiser des coûts de production en allouant des ressources vers la création de nouvelles unités de production.

II.    Une approche productive en « Knowledge based »

Le Professeur Wei Zhou parle d’un inventaire dit « basé sur la connaissance ».

RFID

Dès le départ de la chaine de production, une défaillance peut être identifiée grâce au tag, évi-tant ainsi l’accumulation d’un défaut dans le processus opérationnel, ou son aggravation. Un produit défaillant est, dès la naissance de son dysfonctionnement, retiré de la fabrication, ce qui permet d’une part d’éviter le gaspillage de matière première et d’énergie, d’autre part de le recycler ou de le réajuster plus facilement vers une nouvelle utilisation. Ainsi en fonction du diagnostic résultant de l’analyse du parcours RFID du produit, la décision est prise de détruire ou de réutiliser le produit en fonction du coût de chaque option[4]
Généralement, lorsque la défaillance a eu lieu en fin de chaine de production, le produit est réparé car l’investissement productif est quasi-total. Le recyclage lui, apparaît souvent lorsque la chaine de fabrication ne peut être inversée, on ne peut donc réintégrer un produit en son sein. Finalement, le produit en défaut sera réinséré dans le processus lorsqu’il est en aval d’une chaine productive flexible. 
« Ce n’est pas juste un énième outil fantaisiste » selon le Professeur Wei Zhou, il réduit le risque et le coût des opérations et de l’inventaire des stocks[5], devenant alors un des leviers vers une industrie plus durable. Le tag RFID permet à l’entreprise de moins focaliser son attention sur la gestion du gaspillage par l’augmentation de son information et par l’automatisation de son identification, lui ouvrant alors le regard vers des objectifs stratégiques de marché. 

III.    Un progrès managérial

Le marché de la RFID se décompose de la manière suivante : communication (27,3%), média (4,6%), production (16,4%), automobile (12,7%), énergie (6,4%), industrie pharmaceutique (7,3%). La RFID est utilisée dans des secteurs variés car elle joue aussi un rôle de coordination et de gestion des personnes, des partenaires et des clients. 
BearingPoint & MOJIX ont accompagné un acteur du luxe souhaitant mettre en œuvre la RFID afin d’améliorer l’efficience opérationnelle en boutique et la traçabilité logistique. Les premiers proof of concept se sont déroulées à Hong Kong et en France. Dès 2019, cinq nouveaux pilotes ont ensuite de nouveau testé la technologie, améliorée grâce à l’analyse des essais français et Hong-Kongais. La fin 2019 a marqué le roll-out, la mise en œuvre progressive de la technologie dans toutes les boutiques de la marque. 
« C’est une approche modulaire de la RFID qui s’est faite, en donnant des options aux bou-tiques » partage le Directeur du programme RFID de la maison de luxe. En offrant une liberté de gestion du stock à de nombreuses boutiques, la maison de luxe responsabilise la boutique dans l’usage de cette technologie, tout en offrant à tout son écosystème un tableau commun pour comprendre le produit.
Pourtant, l’accueil de cet outil varie fortement selon l’environnement législatif, culturel et social des pays dans lesquels les boutiques sont implantées. Le personnel en boutique s’adapte de manière plus ou moins rapide en fonction du pays. Les consommateurs affichent parfois une sensibilité particulière vis-à-vis de la transparence du produit.
Au-delà de ces considérations, la circulation transparente du produit, en transports ou même intra-boutique, améliore la coordination entre siège et entités locales ou entre entités locales elles-mêmes. La collecte de données grâce à la RFID permet parfois de capter et analyser une situation, en usine, en magasin, qui auparavant, n’aurait pu être entendue sans un déplacement vers le lieu en question. 
En outre, en virtualisant la partie logistique des commerces, pourtant aujourd’hui toujours an-crée dans le monde physique, la RFID renforce également les synergies entre canaux de distri-bution. Les canaux de m-commerce et e-commerce se synchronisent avec une meilleure per-formance aux stocks physiques, aidant les entreprises dans leur stratégie omnicanale.

Les enjeux de la RFID pour le consommateur

I.    Une identité de marque protégée

En garantissant la vérification en temps réel de la position dans la chaine de distribution, le tag RFID permet de lutter contre les marchés gris. Il est, dans le cas général, possible que certains produits soient détournés / perdus pendant leur distribution. Ce phénomène, équivalent à une production sans recettes, est couteux pour la marque.En cas de disparition d’un produit, son recensement est plus rapide que par l’observation hu-maine ou le scannage habituel. Les points exacts de disparition sont identifiés pour investiguer la source de diversion / perte. Toutefois, les tags RFID ne peuvent pas être géolocalisés en de-hors des espaces de l’entreprise ou de ses partenaires équipés de lecteurs dédiés. C’est pour-quoi il peut être intéressant de compléter ce dispositif avec un outil de net scanning basé sur l’intelligence artificielle permettant de scanner l’Internet à la recherche de produits vendus dans des canaux de distribution en ligne non officiels.
La RFID fait donc la part belle à l’identité de la marque. Elle la délimite dans le cadre normal de l’entreprise productrice et mercantile. Une façon d’améliorer la productivité des stratégies de promotion et communication en rappelant tous les bénéfices vers la source authentique de ces efforts : la marque. C’est aussi un gage de crédibilité pour le consommateur. 

II.    Rendre au consommateur le sens de ses achats

Un consommateur se tourne vers une marque pour son positionnement original. La marque fait aujourd’hui gage de distinction sociale. Alors, la copie, ou la revente de cette marque sur des marchés parallèles diminue la satisfaction du client à posséder un objet distinct. 
L’utilisation de la RFID rassure le client en recadrant les reventes illégales et revalorise ainsi la segmentation du marché global.
Pour autant, la RFID n’empêche pas la contrefaçon, à moins d’être intégrée au produit et/ ou de bénéficier d’un niveau d’encryptage élevé avec des codes tournant par exemple. La RFID n’empêche pas non plus le marché de l’occasion, aujourd’hui en plein développement. La vente de produit d’occasion est possible et peut-être accompagnée d’un certificat d’authenticité du produit, vérifié dans la Blockchain.

III.    Un magasin plus réactif 

L’amélioration de la relation client grâce à l’identification automatique ne s’arrête pas aux sym-boliques de la marque et de la consommation. Par la productivité accrue de la logistique, en magasin, les ruptures de stock ou rayons vides sont plus facilement anticipables. Il s’agit pour les vendeurs de définir un stock de produits-seuil, en-dessous duquel une commande est faite. 
Ainsi, dans un secteur à forte rotation des stocks et saisonnalité, la RFID permet d’actualiser au mieux les collections. Le magasin suit précisément ce qui est acheté ou non, et anticipe locale-ment, les besoins clients. 
De plus, la réception des produits et la réalisation de l’inventaire est quasi automatisée. Le per-sonnel a plus de temps pour se consacrer à l’activité de vente et de service et améliorer ainsi l’expérience client.

IV.    De nouveaux services et storytelling de l’aval de la vente

En effet, quels que soit les niveaux de stock en magasin, la traçabilité des produits permet de nombreux services additionnels au produit, avant-vente mais aussi après-vente. La réservation de pièces, la personnalisation d’un produit, le cross-selling, s’en trouvent facilités. L’expérience du client est élargie et la satisfaction client prend une nouvelle ampleur, gage de fidélité. Grâce à la RFID, la maison de luxe peut « faire entrer le client dans les ateliers » de la marque, faire histoire du parcours du produit, pour renforcer la symbolique d’artisanat dans l’ombre du produit. 
La RFID n’apparaît pas seulement comme un levier logistique, ou managérial mais aussi un outil de positionnement et communication marketing. Parce que l’amont de la chaine productive est exposé de façon granuleuse, l’entreprise peut utiliser ces informations pour romancer le produit, non-seulement autour de ses caractéristiques de nature, mais également autour de son cycle de vie, des personnes impliquées dans sa fabrication. 
Utiliser la RFID comme un atout logistique, éthique, ou simplement marketing est aujourd’hui créateur d’un avantage compétitif. En effet, face à un consommateur de plus en plus soucieux de consommer selon ses valeurs humaines, ou son attrait pour le local, l’entreprise se doit (1) de conserver la plus importante transparence possible, et (2) d’utiliser la sensibilité sociétale au sujet du parcours d’un produit pour créer l’émotion et l’attachement du client. 

Les enjeux de la RFID pour la société

Pour de nombreux secteurs tels que l’industrie pharmaceutique ou le commerce alimentaire, la traçabilité des produits revêt un enjeu sociétal ou sanitaire.

I.    La sensibilité du client au respect de sa vie privée 

Il est important de préciser que la RFID permet de tracer des produits et non des personnes. Il s’agit de plus d’une technologie passive qui doit être stimulée par des lecteurs spécifiques. Il n’y a donc aucun risque pour le respect de la vie privée de l’acheteur, que le tag RFID soit attaché ou intégré au produit.
Dans l’exemple qui nous est rapporté, la notion de vie privée du consommateur est considérée comme non négociable par la maison de luxe. Lors de la vente de produits équipés de tag, celui-ci est détaché du produit et désactivé pour rassurer le client sur le fait qu’il n’est pas traçable par la marque. Dans un contexte digital où publicité, information, prix, semblent conditionnés par les données personnelles vendues sans autorisation pour de nombreux consommateurs, il s’agit selon le Professeur Wei Zhou d’une différenciation par la confidentialité .

II.    Une éthique technologique à renforcer

Si la RFID apparaît bénéfique pour la performance des entreprises utilisatrices, elle les expose également à de nouveaux dangers. Si l’entreprise choisissant le tag RFID est transparente pour elle-même, le risque d’infraction de la confidentialité commerciale existe aussi. La traçabilité des produits peut être analysé par des tiers s’ils piratent le service en ligne d’identification RFID, ouvrant la voie à un espionnage industriel d’une performance inédite. Il s’agit alors pour les autorités compétentes de mettre en application des politiques garantissant une « éthique tech-nologique[7]  », selon le Professeur Wei Zhou.
Il ne s’agit pas seulement de l’observation non-autorisée des données industrielles mais égale-ment de leur modification. Les tags RFID peuvent être brouillés, désactivés, à la même manière qu’une caméra de surveillance serait détruite. Le clonage d’un tag pose également le risque d’une contrefaçon crédibilisée par le tag RFID. Enfin, dans le simple objectif d’affaiblir l’entreprise, des codes infectieux peuvent attaquer de façon globale système de l’Internet des objets utilisés. Les autorités de régulations des marchés, de protection du tissus productifs doi-vent alors faire respecter un aspect éthique de la RFID. 
La solution proposée par MOJIX est l’utilisation de la Blockchain en complément de la RFID pour sécuriser les données-produits de façon immuable. La blockchain pose, au global, la question de la consommation d’énergie, à moins qu’elle ne soit utilisée de façon privée.

Conclusion

Dans un environnement requérant une agilité industrielle inédite, face à un consommateur flexible, mobile dans l’espace et marqué par des influences culturelles et sociales, la progression des technologies IoT au service des commerces semble indispensable. La RFID permet de synchroniser l’univers physique avec un univers digital. Elle fait partie de ces outils promettant le développement du commerce, de la conceptualisation d’un produit jusqu’à l’expérience d’achat. 
Selon le Professeur Wei Zhou, la principale qualité de la RFID est de réduire de façon considé-rable les pertes et les coûts liés à la fabrication ou la distribution. Il s’agit également d’un moyen de créer des synergies entre personnes travaillant ensemble en communiquant en toute transparence et sans limite géographique. 
Appliquée au monde de la mode, la RFID représente également un avantage pour le client et son expérience en magasin, hors ou en ligne. Stocks optimisés, nouveaux services et plus d’attention pour mieux servir le client, tout converge vers l’amélioration de la performance de vente et la fidélité. La marque est aussi plus protégée des marchés gris.


[1] https://www-statista-com.hub.tbs-education.fr/statistics/1070286/number-companies-technology-radio-identification-by-size-france/  et 
https://fr-statista-com.hub.tbs-education.fr/statistiques/1048741/nombre-societes-technologie-radio-identification-production-livraison-taille-france/ 
  
[2] https://www-statista-com.hub.tbs-education.fr/statistics/781338/global-rfid-technology-market-revenue/

[3] ZHOU, Wei et PIRAMUTHU, Selwyn. IoT and supply chain traceability. In : International Conference on Future Network Systems and Security. Springer, Cham, 2015. p. 156-165.

[4] ZHOU, Wei et PIRAMUTHU, Selwyn. Remanufacturing with RFID item-level information: Optimization, waste reduction and quality improvement. In : International Journal of Production Economics, 2013, vol. 145, no 2, p. 647-657.

[5] ZHOU, Wei et PIRAMUTHU, Selwyn. Identification shrinkage in inventory management: an RFID-based solution. In : Annals of Operations Research, 2017, vol. 258, no 2, p. 285-300.
ZHOU, Wei, PIRAMUTHU, Selwyn, CHU, Feng, et al. RFID-enabled flexible warehousing. In : Decision Support Systems, 2017, vol. 98, p. 99-112.
ZHOU, Wei et PIRAMUTHU, Selwyn. Effects of ticket-switching on inventory management: Actual vs. information system-based data. In : Decision Support Systems, 2015, vol. 77, p. 31-40.

[6] ZHOU, Wei et PIRAMUTHU, Selwyn. Information relevance model of customized privacy for IoT. In : Journal of Business Ethics, 2015, vol. 131, no 1, p. 19-30.

[7] ZHOU, Wei et PIRAMUTHU, Selwyn. Technology regulation policy for business ethics: An example of RFID in supply chain management. In : Journal of business ethics, 2013, vol. 116, no 2, p. 327-340.

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