Face à la Chine : l’Occident oublie les éléments qui nous avaient permis de gagner la guerre froide<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Face à la Chine : l’Occident oublie les éléments qui nous avaient permis de gagner la guerre froide
©JIM WATSON / AFP

Confrontation

La crise sanitaire actuelle, qui a consacré l’échec des organisations multilatérales, pourrait servir de révélateur de l’existence voire d’accélérateur d’une « nouvelle guerre froide » entre l'Occident et la Chine.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »
Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les atouts économiques et industriels qui ont permis à l’Occident de remporter la Guerre froide ?

Michel Ruimy : La « Guerre froide » a été une longue épreuve de force qui s’est engagée, au lendemain de la capitulation de l’Allemagne hitlérienne, entre les États-Unis et l’Union soviétique. Les deux « Grands » ont construit progressivement leurs zones d’influence et ont divisé le monde en deux camps antagonistes. La chute du Mur de Berlin (novembre 1989) a mis un terme à cette logique bipolaire.

La fracture entre les Etats-Unis et l’URSS n’a pas surgi inopinément en 1946. Elle remonte, en fait, à la naissance même de l’URSS. Avec la révolution russe de 1917 et l’arrivée au pouvoir de Lénine, les deux pays souffrent d’une véritable incompatibilité idéologique et des structures politiques, économiques et sociales. D’un côté, les Etats-Unis s’affichent comme les représentants du libéralisme, tant politique (démocratie libérale) qu’économique (propriété privée) tandis que l’autre fustige le capitalisme et prône une société sans classe (socialisme), où les initiatives de l’individu s’effacent devant les intérêts du peuple (capitalisme d’Etat et démocratie populaire).

Hors d’une confrontation directe, tous les domaines vont alors devenir stratégiques. Les États-Unis et l’URSS vont investir un grand nombre de champs de confrontation. La conquête spatiale est l’un des plus symboliques. Entrer dans la course à l’espace est lourd de signification pour les deux blocs. Parvenir à conquérir cet espace vierge renvoie à une victoire totale dans l’imaginaire collectif pour le vainqueur. La mise en orbite du premier satellite artificiel de l’histoire (Spoutnik, 1957) est, dès lors, un véritable électrochoc pour les États-Unis. Ce coup d’éclat est double pour l’URSS : il confirme la supériorité technique soviétique et constitue un signal fort adressé aux États-Unis. En réponse, les Américains créent notamment la NASA afin de rattraper l’avance prise par l’Union soviétique et, en juillet 1969, Apollo 11 alunit. C’est un petit pas pour l’Homme mais un pas de géant pour les États-Unis pour lesquels cet exploit relève de la consécration. La victoire est totale et inscrit le programme spatial américain dans l’histoire humaine.

Parallèlement à ce contexte, en Europe, à l’instar de la NASA, les politiques industrielles ont été le fait de programmes spécifiques nationaux ou européens et d’agences particulières, qui tiraient leur légitimité de leur aptitude à concrétiser une capacité opérationnelle. Un exemple en matière de Sécurité et de Défense ont été les avions de combat fabriqués, en France, par Dassault Aviation et Eurofighter, qui a permis à EADS d’acquérir les compétences qui lui faisaient défaut. Le Commissariat à l’Énergie Atomique, en France, incarne aussi parfaitement cette dynamique. Les compétences acquises le conduisent à développer son rôle institutionnel en se voyant confier des responsabilités hors du nucléaire depuis de longues décennies. Enfin, la collaboration économique a été renforcée par la création d’une union monétaire qui s’est concrétisée par la mise en circulation de l’euro en 2002.

Dov Zerah : La guerre froide a commencé à basculer dans les années soixante-dix. Les États-Unis perdent la guerre du Vietnam. Ils connaissent une grave crise morale. Pour solder les comptes, ils sont obligés de remettre en cause l’étalon-or et le lien avec le dollar ; ils vont même jusqu’à casser le thermomètre en imposant au monde les changes flexibles.

Mais dans le même temps, c’est la décennie qui va commencer à déstabiliser les sociétés de l’Est européen. Elles constatent que les économies de l’Union européenne se sont reconstruites et ont connu une croissance inégalée avec les « trente glorieuses » alors que dans le même temps, elles connaissent toujours le rationnement et les listes d’attente ; se développe une envie d’Europe. Parallèlement, le besoin de liberté, notamment grâce à la radio « Free Europe », se propage et se trouve conforté par la conclusion de la convention d’Helsinki.

Alors que « les armes de la paix » propage leur virus démocratique, l’Union soviétique commet trois erreurs : l’invasion de l’Afghanistan, la relance de la course aux armements avec les missiles SS20 et l’impossibilité à réformer le système…

En quoi ces choix ont-ils été déterminants ?

Michel Ruimy : Tout d’abord, il faut bien saisir que la crise de Cuba (1962) et les renouvellements à la tête de chaque Etat (assassinat de Kennedy en 1963, fin de fonctions de Khrouchtchev en 1964) ont ouvert une nouvelle ère, celle de la détente qui a impacté la géopolitique et l’économie. Les échanges commerciaux se sont développés entre ces deux pays à partir du voyage de Nixon à Moscou (1972) mais surtout avec celui de Brejnev aux Etats-Unis (1973) où sont signés des accords de coopération économique et technique. L’« ère de la convergence » va débuter.

Par ailleurs, la construction d’une Europe unie apparaît comme un moyen pour les Européens de se reconstruire et de maintenir entre eux des relations pacifiques. La création du Marché commun en 1957 répond à cette nécessité de mettre un terme au morcellement de l’Europe pour créer un grand espace économique intégré permettant de survivre face à la concurrence des grands pays. La période 1989-1992 a également ouvert la voie à une accélération du mouvement général d’unification politique européenne (traité de Maastricht). Cela apparaît aujourd'hui encore d’actualité face à la montée en puissance de la Chine, par exemple.

Dov Zerah : Étaient-ce des choix ? La concurrence a été telle que le système centralisé n’a pas été en mesure de soutenir la concurrence du Monde libre. La liberté politique et l’économie de marché ont prévalu. Une chose est sûre. L’Occident n’a cessé d’affirmer ses valeurs et l’incapacité du système soviétique à se réformer a fait le reste. Comme en 1917 l’Empire tsariste, l’Union soviétique s’est effondrée.

Aujourd’hui face à l’influence grandissante de la Chine, comment s’inspirer de ces décisions passées pour retrouver une puissance économique suffisante pour lui faire face ?

Michel Ruimy : La crise sanitaire actuelle pourrait, encore plus qu’auparavant, servir de révélateur de l’existence voire d’accélérateur d’une « nouvelle guerre froide » entre les Etats-Unis et la Chine. Elle a mis le monde occidental, à rude épreuve, révélant l’insuffisance ou la lenteur de sa réaction face à la Chine. Elle a consacré aussi l’échec des organisations multilatérales. Que ce soit l’Union européenne (UE) qui n’a réagi que tardivement après avoir laissé l’Italie faire face, seule, à l’épidémie, l’Organisation mondiale de la santé qui n’aurait été que le porte-parole de la Chine ou les Nations unies où le Conseil de sécurité a été le théâtre de cette rivalité sino-américaine.

Avec la crise du coronavirus, nous ne sommes plus désormais dans l’esprit chevaleresque de la compétition, du gagnant/gagnant mais plutôt dans un affrontement de puissances. La géopolitique est réhabilitée par la compétition technologique. Face à cette situation, l’UE doit retrouver sa souveraineté industrielle, réduire sa dépendance extérieure dans les secteurs stratégiques. Alors que la Commission entrave la création de géants à même de rivaliser avec la Chine, les différents gouvernements doivent mieux partager une stratégie commune d’économie industrielle - aligner leurs positions et construire une doctrine commune -.

Pour faire face aux stratégies de « champions nationaux » développées par la Chine et d’autres pays, il n’est pas nécessaire de changer totalement de doctrine, de remettre en cause le marché unique en adaptant le droit européen de la concurrence, actuellement favorable au consommateur et dont la dernière actualisation remonte à 2004. L’UE doit finir toutefois avec sa naïveté. Elle doit laisser à ses entreprises les moyens de répondre à ces entreprises de taille mondiale au nom de l’emploi, de la croissance et de son indépendance stratégique (cf. fusion des branches ferroviaires Alstom-Siemens).

Il conviendrait plutôt de mieux contrôler les investissements étrangers dans les secteurs protégés en renforçant les législations nationales et d’envisager plus de réciprocité dans l’accès aux marchés publics.

Dov Zerah : La comparaison avec la Guerre froide parait peu pertinente ne serait-ce que parce que, grâce à la mondialisation et au recours à « l’économie socialiste de marché » a sorti des centaines de millions de Chinois.

Le problème avec l’Empire du milieu tient à sa stratégie de cavalier seul se souciant peu des autres et des règles. Les Chinois ne s’inscrivent pas dans une démarche de gouvernance internationale. 30 ans après son admission le 11 décembre 2001 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine conforte ses positions commerciales en pratiquant trois dumpings social, environnemental, et surtout monétaire.

Demain, le monde devra revisiter ses relations avec l’Empire du milieu pour le conduire à respecter les règles de l’échange international. Parallèlement, l’Occident devra continuer à défendre ses valeurs de liberté. Il a très prochainement rendez-vous avec Hong Kong.

Mais tout cela n’est envisageable que si les membres du G5, États-Unis, Europe et Japon, sont au diapason. Cela ne semble pas possible avec l’actuelle administration TRUMP, les dissensions européennes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !