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Polémique sur Le Slip Français: «Les marques doivent résister au chantage des réseaux sociaux!»

PATRICK BERNARD/AFP

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Une vidéo montrant des employés du Slip Français grimés en noir a suscité l’indignation sur les réseaux sociaux. Pour le philosophe et spécialiste du marketing Benoît Heilbrunn, les marques devraient résister à ces attaques aussi insignifiantes que caricaturales.

Benoît Heilbrunn est philosophe et professeur de marketing à l’ESCP Europe. Auteur de plusieurs ouvrages sur le marketing, son dernier livre, L’Obsession du bien-être (Robert Laffont) a été publié en février 2019.


FIGAROVOX.- Le Slip Français, entreprise omniprésente sur les réseaux sociaux, a été récemment brocardé pour les agissements de certains de ses salariés, grimés en noir lors d’une fête privée. La marque est-elle rattrapée par sa volonté de proximité, instrumentalisée par des censeurs d’un nouveau genre?

Benoît HEILBRUNN.- Sans ironie aucune, l’aventure politique que vient de vivre Le Slip Français - à savoir une collusion entre une affaire privée et une médiatisation publique - n’est-elle pas une parfaite illustration de son positionnement de marque, à savoir «des vêtements pensés pour l’intime, en pensant au collectif»? La marque ne croyait pas si bien dire en articulant ces deux sphères a priori disjointes. L’entreprise paie le prix d’un phénomène qui caractérise notre société «disneyisée»: l’affaissement des frontières entre les différentes sphères de la vie sociale et la porosité toujours croissante des univers de vie qui en résulte. Que l’on pense au mélange constant de l’art et du divertissement, à l’infusion de la mode dans quasi tous les univers de la consommation courante, ou bien encore au décloisonnement de la vie privée et de la vie publique que renforcent évidemment les innovations technologiques...

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Il est important de résister à ce type d’attaques qui tendent à vider de sens les discours et les images en leur attribuant une signification décontextualisée qui est à la fois caricaturale et qui nie toute idée d’intentionnalité. Cette surinterprétation fallacieuse illustre la crise du sens qui affecte l’économie des marques dans un contexte de multiplication des sources de parole. Cette censure d’un nouveau genre est un poison démocratique auquel il ne faut pas céder. Si les marques veulent jouer un rôle dans la Cité, il leur faut absolument résister à ce chantage complotiste et à cette montée de l’insignifiance qui détruit toute possibilité d’un débat démocratique.

Comment expliquer qu’on puisse attaquer une entreprise pour des actes dont elle n’est pas responsable? Que révèle cette stratégie d’intimidation?

Plutôt que de parler d’entreprise, je parlerais plutôt de marque. La marque est à l’origine une relation que crée une organisation pour rentrer en contact avec différents publics. On a longtemps pensé cette relation comme étant centrée sur les clients. Mais la marque existe en fait au sein d’un écosystème relationnel, si bien qu’il faut considérer les différentes parties prenantes avec lesquelles la marque est susceptible d’interagir: les médias, les pouvoirs publics, les influenceurs, les distributeurs, les fournisseurs, les actionnaires. De même les marques sont aujourd’hui régies par ce que les anglo saxons appellent le «purpose». Ce qu’on attend aujourd’hui d’une marque n’est pas seulement de vendre des marchandises, c’est de montrer en quoi elle est capable de changer la vie des individus et des sociétés.

En empiétant toujours davantage sur les sphères culturelles, sociales et politiques, les marques sont devenues des dispositifs de gouvernement, au sens où Michel Foucault définit la gouvernementalité comme la capacité à structurer la pensée et les actions d’autrui. De même, les influenceurs partent du principe que la marque est une relation et qu’ils ont le pouvoir d’influencer ou d’infléchir cette relation, comme si l’éthique de la marque était un terrain négociable. De là à instrumentaliser cette relation qu’est la marque à des fins idéologiques, il n’y a qu’un pas que ne manquent pas de franchir les nouveaux censeurs.

Les entreprises qui affirment leur «responsabilité sociale» ne risquent-elles pas toutes d’être prises au piège de cette notion floue?

Il ne me semble pas avoir encore eu l’occasion de lire ou d’entendre de définition claire, intelligible et pertinente de notions telles que le développement durable, la transformation digitale ou la RSE. Le discours des entreprises et des marques est en train de se normaliser autour de ces notions tout en évacuant souvent la nature réelle de leur utilité sociale. La RSE est ce dont il faut parler, sans que l’on sache exactement de quoi on parle. Or, les enquêtes montrent clairement que pour la plupart des consommateurs, les marques ne jouent aucun rôle significatif dans leur existence. Elles pourraient disparaître sans que cela n’affecte fondamentalement leur vie quotidienne.

C’est pourquoi la seule question importante est à mon sens celle de l’utilité. Qu’apporte la marque? Quelle est sa contribution réelle à l’existence des individus et des sociétés? Sachant qu’évidemment l’utilité n’est pas que fonctionnelle et renvoie à des dimensions symboliques, émotionnelles, esthétiques, etc. Bic a changé notre façon d’écrire, Apple d’écouter de la musique tandis que Mc Donald’s a permis à chacun de pouvoir aller au restaurant. Voici des marques qui ont indiscutablement un purpose. Sans utilité réelle, la communication des marques n’est qu’un cache-misère et la marque se réduit à une copule discursive divertissante.

Le Slip Français est l’exemple typique d’une marque qui s’est construite sur cette notion d’utilité, et devrait y revenir pour mieux se défendre. D’abord en se concentrant sur le produit, dans une économie qui tend à ne valoriser que les signes et les images. Puis en justifiant l’idée d’une valeur juste, qui est pour moi une clé essentielle pour sortir d’un capitalisme de pacotille. Enfin en réaffirmant, ce qu’elle a fait bien avant les autres, l’importance de la production nationale.

La communication est toujours une prise de risque. Est-il seulement possible pour une marque de rester neutre sur les réseaux sociaux, où les tensions idéologiques sont permanentes?

Beaucoup pensent que la marque et le marketing déploient leurs sortilèges à la manière des sophistes de la Grèce antique. Je pense au contraire que la notion d’utilité (personnelle, sociale, esthétique, etc.) est ce qui permet d’envisager la marque d’un point de vue à la fois pragmatique et rhétorique en considérant que la marque est une «fiction-auteur» pour reprendre l’expression de Michel Foucault. La marque est une relation d’un «Je» qui s’adresse à un «Tu» (les publics) à propos d’un «il» (ce dont elle parle). C’est pourquoi il n’y a pas de marque sans ce qu’on appelle une vision du monde. Sachant que cette vision s’appuie nécessairement sur des convictions relatives à ce qu’est une vie bonne (qui est le registre de l’éthique), une marque ne peut donc rester neutre car son pouvoir vient justement de sa capacité à discerner, prendre position et discriminer.

Elle peut tout au plus neutraliser des invectives ou des attaques avec des arguments qui sont du ressort de la rhétorique. Mais globalement, croire que les réseaux sociaux ont une influence significative sur le contenu d’un discours de marque est une illusion. Cette illusion est la caractéristique majeure d’une société du spectacle dans laquelle chacun pense être un acteur et se sent habilité à prendre la parole à tout bout de champ en croyant détenir une pensée sur tout et rien. C’est exactement ce à quoi les marques et chacun de nous devons impérativement résister.

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22 commentaires
  • anonyme

    le

    Depuis que j'ai appris qu'ils soutenaient les "migrants" et donc le trafic humain, en plus de se coucher devant les gauchistes, je n’achète plus.

  • anonyme

    le

    Pour moi aucun soucis. Je vais arrêter mes achats. Ils font ce qu ils veulent mais ils assument. Le slip maghrébin me semble plus approprié dorénavant. Et pas beaucoup d avenir pour le string à 40e la bas

  • jean-claude 95

    le

    Evitez les réseaux sociaux, c'est ce qu'il y a de pire, le mot sociaux est en trop, des individus déversent leur bile pour tout et n'importe quoi, et c'est rapporté bêtement par d'autres qui ne se renseignent pas sur l'authenticité des images, voir les photos montages sur l'Australie

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