Tribune. Depuis la crise sanitaire, la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) n’est plus comprise comme une simple mesure cosmétique. Et depuis la convention citoyenne pour le climat, il n’est plus possible de remettre en cause le fait que les entreprises doivent contribuer à la sauvegarde de la planète. Mais comment faire lorsque les territoires économiques ne correspondent plus aux limites géographiques des Etats, lorsque les entreprises ne perçoivent plus le caractère obligatoire de la norme et conçoivent les droits nationaux comme un avantage ou un obstacle dont il faut savoir jouer pour assurer leur développement ?
Si les règles instituant la libéralisation internationale du commerce s’inscrivent toutes dans le « droit dur » (hard law), ses aspects sociaux et environnementaux semblent voués à prendre la forme du « droit souple » (soft law). En effet, jusque-là, la RSE a toujours été entendue comme la démarche volontaire par laquelle les entreprises prennent en compte les effets de leurs activités sur l’environnement social et écologique. Les risques encourus étaient jugés suffisamment importants pour les inciter à agir (préjudice d’image, chute du cours de l’action, boycottage des produits). Dans le même esprit, l’accord de Paris sur le climat de 2016 mettait à la charge des Etats une simple obligation de moyens. C’est ce qui explique que la RSE soit essentiellement fondée sur une autorégulation, prenant la forme de normes que les entreprises se donnent elles-mêmes dans des codes de gouvernance. De même, l’Autorité des marchés financiers et le Haut Comité du gouvernement d’entreprise de l’AFEP-Medef utilisent, dans leur rapport annuel public, la technique du name and shame (« nommer et blâmer »). C’est ainsi que, par le truchement du droit souple, la création de normes s’est déplacée du côté des entreprises.
Grands principes
En outre, le droit européen a institué un principe de référence à un code de gouvernance, le comply or explain : une société doit expliquer pourquoi, le cas échéant, elle n’applique pas la norme qu’elle s’est elle-même engagée à suivre. C’est ainsi qu’est née la compliance, terme qui désigne par extension l’ensemble des processus mis en œuvre par l’entreprise en interne, mais de façon transparente, pour prouver que son comportement est conforme aux normes juridiques ou éthiques. Ce phénomène d’autocontrôle a accentué le déplacement des sources du droit vers les entreprises et le développement des accords de justice entre entreprises et magistrats en lieu et place des jugements des tribunaux étatiques.
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