Retour sur le 34ème Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 organisé par la Chaire ESCP-BearingPoint Retailing 4.0

Comme l'a montré l'Observatoire des Utopies lors de l'enquête menée avec l'Obsoco en 2019 et analysée dans l'ouvrage Utopies et consommation dirigé par les Professeurs Olivier Badot et Philippe Moati, les consommateurs, désormais à la recherche de sens et de transparence, questionnent le rôle et la responsabilité des enseignes sur les enjeux sociétaux, notamment ceux liés à la protection de l’environnement. De grandes enseignes, comme Les Galeries Lafayette, ouvrent la voie en incitant à l’achat de produits éco-responsables : 100% de la marque propre répondra à des critères d’éco-responsabilité et plus de 25% de l’offre sera labellisée “Go For Good” (source : site goforgood.galerieslafayette). 

Outre la diversification de l’offre produit, cette nouvelle donne questionne également le développement de nouvelles formes de commerce et les enjeux liés à la mobilité et la logistique. Mais mieux consommer est-il compatible avec la croissance et la robustesse des business models des acteurs du commerce ?

Pour traiter ce thème, le Professeur Olivier Badot, directeur scientifique de la Chaire, et Elisabeth Denner, Présidente de la Chaire et Associée chez BearingPoint, ont accueilli la Professeure Laure Lavorata, Professeure Agrégée des Universités et Directrice de l’Institut du Marketing Reims-Troyes (IMAR-T ), Madame Sylvie Bénard, Présidente de La Dame à la Licorne, et ex-directrice de l’environnement chez LVMH et Monsieur Emmanuel Vasseneix, cofondateur de la start-up « C’est qui le patron ? ».

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L’éco-responsabilité : entre respect des normes éthiques et développement durable 

Lien entre éco-responsabilité et Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

La Professeure Laure Lavorata, spécialiste des notions d’éthique, de distribution et de développement durable rappelle qu’en ce qui concerne les entreprises, le concept d’éco-responsabilité renvoie à des dimensions économiques, écologiques, juridiques et environnementales, qu’il s’agisse d’une responsabilité individuelle ou collective. Ce concept fait référence à la reconnaissance d’une Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), qui engage les organisations à agir de façon éthique envers leurs diverses parties prenantes. Ainsi, le développement de l’entreprise devient responsable vis-à-vis de la société en général, non plus seulement vis-à-vis des seuls consommateurs ou des actionnaires. Il s’agit d’une responsabilité élargie.  

La thématique du développement durable fonde donc sa légitimité autour de trois dimensions : environnementale, sociale et économique, et de leurs nécessaires intersections.

La dimension environnementale, qui englobe les différents aspects liés au changement climatique et aux ressources mobilisées, fait le lien avec la dimension sociale au travers des problématiques de santé, d’environnement et d’écologie. Les dimensions économiques et environnementales regroupent l’ensemble des réflexions autour des ressources, mais aussi sur les modes de production et de consommation. Enfin, des dimensions économiques et sociales nait la notion d’équité, que l’on retrouve au sein des thématiques du commerce local et/ou équitable. Au centre de ces trois dimensions, se retrouve la notion de durabilité.
Ainsi, pour une entreprise et ses parties prenantes, mener des actions de façon vivable, viable et équitable conduit à leur durabilité. 

Aujourd’hui, de nouvelles autres dimensions comme la paix et la conduite de partenariats émergent afin de garantir le développement de rapports et d’actions durables entre les acteurs. Enfin selon la Professeure Laure Lavorata, il ne peut y avoir de responsabilité sans éthique, l’éco-responsabilité se situant au carrefour des notions d’éthique et de développement durable, dont la RSE représente la traduction concrète de la responsabilité des entreprises.  

Eco-responsabilité et stratégie d’entreprise

Face à la nécessaire prise en compte de ces différentes notions, les entreprises adoptent diverses stratégies de mise en place de l’éco-responsabilité et des niveaux d’intégration variables pour chacun de ces concepts.

(1) La stratégie de niveau zéro, stratégie passive, consiste à agir a minima, dans le respect des réglementations et directives imposées. Ainsi, tout en promouvant des actions concrètes, de nombreuses entreprises s’inscrivent seulement dans l’application du cadre légal imposé. 

(2) La stratégie de niveau un, stratégie défensive, est basée sur la communication. Les entreprises vont alors au-delà des obligations minimales légales et communiquent sur leurs actions réelles. Par exemple, le distributeur E. Leclerc, en 2021, communique activement sur le remplacement de ses sacs plastiques par des sacs en toile de jute au sein des magasins de l’enseigne. Toutefois, certaines entreprises pratiquent le greenwashing, c’est-à-dire qu’elles utilisent l’argument écologique sans l’appliquer concrètement. Ainsi, certains logos ont pris une couleur verte sans que cela soit sous-tendu par des processus organisationnels ou des actions écoresponsables concrètes.

(3) La stratégie de niveau deux, éco-responsable, implique l’intégration du développement durable et différents aspects environnementaux dans la fabrication des produits. L’entreprise réfléchit dès le départ à la confection des produits, à sa durabilité à l’achat, durant son utilisation pour une consommation responsable, et ce, jusqu’à la fin de vie du produit et son recyclage. 

(4) La stratégie de niveau trois nécessite que la notion de développement durable soit incluse dans la stratégie de l’entreprise. Cette démarche part du produit, comme au niveau deux, mais se globalise ensuite pour développer une politique de RSE. Les magasins Franprix, avec leur concept « Franprix noé » proposent, au-delà du simple produit, une offre complète de produits uniquement équitables et/ou bio en magasin. 

(5) La stratégie de niveau quatre réfléchit le modèle d’affaires de l’entreprise en se fondant sur l’intégration du développement durable au sein de l’organisation. Bien avant que les consommateurs ne s’intéressent aux questions d’environnement et de durabilité, l’entreprise LUSH avait développé un business model responsable (savons durs) et communiqué sur ses actions (pas de tests sur les animaux, etc.). 

Finalement, entre éco-responsabilité et commerce, l’existence d’un mariage de raison peut s’envisager en raison du « pilier écologique », le plus simple à prendre en compte par les entreprises tant il permet à celles-ci de réaliser bon nombre d’économies d’échelle. Dès lors, la question d’une démarche utilitariste de la part de certaines organisations se pose : agit-on par conviction ou par souci d’économie ? Le poids des réglementations oblige aussi de nombreux acteurs à agir vers plus de comportements éco-responsables, sans pour autant être assuré de leur intégrité. Il s’agit alors d’un mariage de raison, car pour beaucoup, il n’y a pas d’autre choix.

« C’est qui le patron ? » L’éco-responsabilité pour les consommateurs, par les consommateurs

L’entreprise « C’est qui le patron ? » est un exemple concret de modèle d’affaires bâti sur une stratégie de niveau quatre. L’initiative rencontre un véritable succès avec une dizaine de produits lancés chaque année, 200 millions de litres de lait vendus par an, plus de 326 producteurs partenaires et justement rémunérés, 17 distributeurs et 16 millions d’acheteurs. Son lancement en 2016 a changé la vie des producteurs et le regard du consommateur sur sa consommation. Dans un monde où les démarches éco-responsables sont au cœur des préoccupations de consommateurs toujours plus nombreux, « C’est qui le patron ? » s’engage dans la révolution citoyenne qui s’opère, afin de redonner confiance aux consommateurs dans les enseignes de distribution et autres industries.

Par une simple prise de position, un simple achat, chaque consommateur se positionne dans une démarche et une philosophie éco-responsable. Il se réapproprie son alimentation, la composition des produits, son mode de livraison, son mode de consommation, etc. mais aussi le sens qu’il donne à son alimentation. Les consommateurs attendent aussi de la transparence de la part des producteurs, de la cohérence, et des informations sur la temporalité, c’est-à-dire « le temps que les producteurs et industriels mettent pour élaborer et distribuer de nouveaux produits ».

De fait, l’entreprise valorise :

- la participation des consommateurs, via la co-construction de l’offre. Grâce au recueil des avis et volontés des consommateurs sur le plan de l’alimentation, de l’emballage, du transport mais aussi de la rémunération du producteur, « C’est qui le patron ? », soucieuse de l’éthique appliqué lors des transactions, embrasse pleinement la notion d’éco-responsabilité tout en développant un business model viable et durable. Via des questionnaires en ligne, l’entreprise dessine le cahier des charges du produit en cohérence avec la vision du consommateur : « vous voulez un lait français ? Quelle rémunération pour le producteur ? Un emballage en bouteille ou en brique ? Que les vaches soient laissées en pâturage six mois de l’année ? etc. » Ainsi, autrefois payé 325 euros les 1 000L de lait, le producteur est aujourd’hui rémunéré 390 euros pour un point d’équilibre à 350 euros. Grâce à « C’est qui le patron ? », les producteurs parviennent enfin à avoir une vie décente et le pouvoir d’évoluer ;

- la transparence de l’offre. Afin de prouver son engagement et de justifier celui des consommateurs, les fiches de paie des producteurs de lait sont mises en ligne. Les prix du lait sont certifiés par des commissaires aux comptes et validés par des consommateurs et sociétaires ;

- la bienveillance : une norme éthique somme toute. Un producteur a le droit d’être rémunéré à sa juste valeur, et de bénéficier d’un niveau de vie décent, au regard des efforts fournis. Une façon pour l’entreprise de s’inscrire dans le respect de l’environnement et des différentes parties prenantes du processus de production et d’achat. A ce titre, les producteurs s’impliquent dans l’amélioration des conditions de production dès lors qu’ils perçoivent une rémunération plus juste, qui leur permet de pouvoir s’investir plus concrètement dans ce type de démarche. Un cercle vertueux s’installe comme le revendique l’entreprise « C’est qui le patron ? ». 

L’éco-responsabilité au cœur des préoccupations de LVMH 

Les grands enjeux éco-responsables autour des marques et de la distribution 

Sylvie Bénard, en tant qu’ex-directrice environnement chez LVMH pendant près de 30 ans, a accompagné le groupe dans la mise en place de différentes politiques et stratégies visant à mieux répondre aux questions environnementales et de transition écologique. Huit grands principes environnementaux ont ainsi été identifiés : 

(1) Qu’il s’agisse d’une boutique, d’un produit, ou d’un événement, la question environnementale doit être prise en compte dès la conception. 
(2) La pérennité des activités et des produits développés par une entreprise s’envisage en fonction de l’utilisation des matières premières naturelles stratégiques et de leur devenir à moyen-long terme.
(3) Les matières premières et leur revente après transformation sont conformes à un cahier des charges éco-responsable et la traçabilité garantit cette conformité.
(4) Les fournisseurs respectent des règles et protocoles conformes aux enjeux environnementaux et sociaux identifiés par le groupe.
(5) Le savoir-faire lié aux matières premières naturelles et stratégiques respectent le cahier des charges éco-responsable de l’entreprise.
(6) L’entreprise cherche à organiser les activités et productions de la manière la plus « verte » possible pour lutter contre le changement climatique.
(7) Chaque site de production de l’entreprise tient compte des enjeux environnementaux et sociaux.
(8) L’entreprise met au point des produits qui durent, sont réparables et transmissibles. 

Grâce, en partie, aux investissements engagés dans le cadre du Fond Carbone, le groupe LVMH a mis en place diverses actions lui permettant d’engager la réduction de l’empreinte environnementale liée à ses activités en magasins :

(1) La création d’une grille d’éco-conception des magasins, remise à l’ensemble des parties prenantes entourant sa conception.
(2) La création du prix du magasin ayant le plus diminué son impact environnemental, remis tous les deux ans.
(3) Le développement d’une Académie de l’environnement, proposant des formations spécialisées pour l’éco-conception dans l’architecture, le design d’intérieur, etc.
(4) Le référencement de fournisseurs innovants dans la démarche éco-responsable pour soutenir la démarche de chaque magasin du groupe.

L’éco-responsabilité en magasin

Selon Sylvie Bénard, l’enjeu de l’activité en magasin est gigantesque, 70% des gaz à effets de serre étant créés par les activités physiques, en magasin. La consommation énergétique des boutiques (climatisation, chauffage, outils informatiques, écrans, etc.) est en effet souvent négligée. Louis Vuitton a su transformer ses chutes de cuir non utilisées pour créer du mobilier, des emballages ou encore de la PLV au sein de ses magasins. La gestion des déchets en magasin nécessite une réflexion en amont pour créer un espace suffisamment grand et adapté à chaque magasin, pour permettre le tri des matières effectué au sein des points de vente. Il en va de même pour la réception des articles retournés en magasin, politique écologique de plus en plus développée par les entreprises. L’enseigne Sephora, depuis maintenant plusieurs années, propose à ses clients de lui retourner les flacons vides, ou autres emballages, pour qu’ils soient ensuite envoyés sur une plateforme afin d’être recyclés. 

Enfin, les entreprises peuvent communiquer vers leurs clients sur leurs actions éco-responsables de diverses manières. En Angleterre, l’enseigne Selfridges communique sur l’interdiction à la vente de certains produits (pas de bouteille à usage unique, pas de pailles, etc.) dans ses magasins. Les Galeries Lafayette ont fait le choix d’une stratégie best in class, qui consiste à ne sélectionner et à mettre en avant que les marques les plus performantes en matière de politique durable. Pour ce faire, un questionnaire est envoyé aux marques, qui répondent de leurs engagements selon différents critères. Ensuite, selon le nombre de points récoltés par chaque marque, des pastilles contenant des informations particulières au sujet de la marque seront mises en avant au sein des magasins. 

Le e-commerce : un impact environnemental non nul 

Si la responsabilité écologique des entreprises est de plus en plus désirée par les consommateurs et adoptée par celles-ci, il faut aussi prendre en compte, en parallèle, la montée du e-commerce dans le monde et ses impacts environnementaux. La création de son site e-commerce lui-même, le mode de transport des marchandises commandées, les conditions et modes de transport à nouveau pour le retour des produits, ainsi que l’emballage choisi lors de l’expédition, constituent autant de points de vigilance pour une entreprise.

Une prise de conscience est nécessaire chez le consommateur. Il doit arbitrer entre déplacement, e-commerce et respect de l’environnement. Selon Sylvie Bénard, il doit aussi se poser la question de la « bonne utilisation ». Commander en ligne peut avoir un impact environnemental fort. Toutefois, commander via la plateforme Epicery (place de marché spécialisée dans la livraison des commerces de bouche locaux), garantit un transport éco-responsable, avec un impact environnemental intéressant, voire positif.

Conclusion : entre performance et éco-responsabilité 

Aujourd’hui, l’éco-responsabilité peut tout à fait s’inscrire dans la stratégie d’une entreprise rentable et pérenne. Selon une étude Ethisphere, les entreprises du CAC 40 qui ont entrepris des démarches de RSE présentent une performance financière accrue de 4,4%. Si pour les entreprises, la question du coût de tels changements organisationnels se pose, les économies d’échelles futures réalisées devraient rentabiliser les investissements effectués, et renforcer, en parallèle, l’acceptation des produits/services vendus par davantage de consommateurs. Le raisonnement prend en compte un coût total de l’action, non un coût de production, par projet, au sens de la comptabilité analytique. Il s’applique tant au niveau de l’entreprise qu’à celui du consommateur, qui doit désormais conscientiser ses choix pour une prise de décision plus éclairée. 
 

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