Tribune. Dans le monde entier, les gouvernements ont réagi à la crise de liquidités déclenchée par la Covid-19 en proposant différents types de soutien financier. Presque tous reposent sur l’offre de prêts subventionnés ou garantis. Cela pose un problème non seulement parce qu’un nouvel emprunt vient s’ajouter au niveau d’endettement déjà élevé de nombreuses entreprises, mais aussi parce que les PME, notamment, sont réticentes à demander des prêts quels qu’ils soient, même si elles ont un besoin urgent de financement.
Or, ce type d’autorationnement du crédit se révèle particulièrement grave pendant une crise économique (« Now is not the time to be afraid of debt », ESCP Impact Paper n° 46, Michael Troege et Hiep Manh Nguyen). Nous savons que, même en temps normal, de nombreuses PME n’investissent pas suffisamment. L’explication traditionnelle de ce sous-investissement repose sur des contraintes financières du côté de l’offre.
De nombreuses publications s’appuient sur les travaux fondamentaux des économistes américains Joseph Stiglitz et Andrew Weiss selon lesquels l’asymétrie d’information peut conduire à un rationnement du crédit et donc à un niveau d’investissement sous-optimal. Ces conclusions ont été à la base d’un grand nombre de mesures visant à améliorer l’accès au financement et, actuellement, pour éviter la liquidation de très nombreuses entreprises.
Les entrepreneurs limitent eux-mêmes leur recours aux emprunts
Cependant, les économistes ont récemment commencé à mieux comprendre l’importance du rationnement du crédit du côté de la demande, et non plus seulement du côté de l’offre. Dans bien des cas, ce ne sont pas les prêteurs qui refusent d’accorder des crédits, mais les entrepreneurs eux-mêmes qui limitent volontairement le recours aux emprunts, maintenant ainsi l’entreprise à un niveau d’investissement sous-optimal. Ce phénomène semble loin d’être négligeable.
Selon les études, on observe qu’entre 8 % et 20 % d’emprunteurs potentiels en Grande-Bretagne et en France, et jusqu’à 44 % dans certains pays en développement, ne postulent jamais pour un crédit dont ils auraient pourtant besoin. Ce problème augmente pendant des crises économiques. Les chercheurs estiment qu’à peu près la moitié des PME britanniques, pendant la crise financière de 2008, auraient obtenu des prêts s’ils en avaient fait la demande. Le sous-investissement résultant de ce découragement des emprunteurs se chiffrait alors en milliards de livres.
Avec la crise actuelle, l’autorationnement du crédit limitera les effets des mesures visant à améliorer l’offre de financement. Les PME qui s’autorationnent réduiront leur activité économique, ce qui entraînera des retombées négatives pour d’autres entreprises. Dans les cas extrêmes, les entreprises sous-financées échoueront pendant ou après la crise, puis provoqueront la défaillance des entreprises auxquelles elles sont reliées par la chaîne d’approvisionnement. Ces externalités peuvent entraîner l’interruption de chaînes d’approvisionnement entières, et engendrer une détresse économique importante.
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