Ce sont des fissures de plus en plus visibles, qui menacent de devenir des failles et qui, en se conjuguant, risquent d’ébranler toute la construction européenne.
La première est la conséquence du progrès continu des forces populistes, à gauche et surtout à droite de l’échiquier politique européen. En 2019, les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates ont perdu la majorité qu’ils atteignaient ensemble au Parlement européen, obligeant les deux partis à construire une majorité pro-européenne plus large incluant les libéraux (Renew) et les Verts.
Selon les projections pour les élections européennes de juin, la progression des nationalistes ne devrait pas – encore – menacer la domination du camp pro-européen. Mais elle influencera de plus en plus la prise des décisions, et l’on peut se demander ce qui arriverait si un jour le camp pro-européen venait à perdre sa majorité, alors que plusieurs pays de l’Union européenne connaissent dès à présent des situations politiques compliquées du fait de la montée des extrêmes.
La crainte de la dilution
La deuxième fissure tient à la montée du nationalisme partout en Europe et au retour des Etats face aux enjeux de sécurité et aux tensions géopolitiques. L’UE est dotée de compétences et de moyens importants, et elle forme un cadre d’action. Mais il y a longtemps que la dynamique d’intégration est enrayée.
Déjà, le projet de Constitution européenne, devenu le traité de Lisbonne, avait davantage réformé les institutions qu’il n’avait abouti à de nouveaux sauts dans l’intégration. Les partisans du fédéralisme européen sont devenus moins nombreux, ou plus silencieux. Malgré tous les efforts menés en ce sens (pensons au débat sur la souveraineté européenne lancé par Emmanuel Macron ; aux dialogues citoyens en 2018 ; à la Conférence sur l’avenir de l’Europe en 2021-2022 ; sur le plan de relance européen financé par l’endettement ; aux propositions d’introduire le vote à la majorité sur les questions de politique étrangère et de fiscalité), on ne sent pas de volonté partagée d’accroître les compétences et les pouvoirs de l’UE. Un état de fait d’autant plus inquiétant qu’un éventuel nouveau traité devra être ratifié par chacun des Etats membres.
C’est là qu’une troisième faille se dessine, avec la perspective d’une Union qui s’élargirait de vingt-sept à trente-six Etats membres, incluant six nouveaux pays des Balkans occidentaux ainsi que l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Le grand élargissement à l’Est en 2004 n’avait pas été facile à digérer ; c’est d’ailleurs pour s’y préparer que le processus constitutionnel avait été lancé, conduisant au traité de Lisbonne. Les Français ont toujours craint que l’élargissement n’aboutisse à la dilution du projet européen, et ont toujours plaidé pour que l’approfondissement accompagne l’élargissement. Cela pourra-t-il être de nouveau le cas ? Rien n’est moins sûr, et le risque est que l’Union se transforme peu à peu en une sorte de Conseil de l’Europe amélioré.
Il vous reste 42.87% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.