Le Professeur Hervé Laroche a livré un récit de son expérience du passage de ses cours en ligne dans le numéro 2 de la série spéciale Coronam publiée par Le Libellio.

Après avoir connu plusieurs vagues d’enthousiasme pour des technologies d’enseignement issues de la digitalisation et, surtout, pour avoir vécu les désillusions qui avaient suivi, je m’étais soigneusement tenu à distance de l’enseignement à distance. Depuis quelques années pourtant, il m’avait fallu reconnaître que les dispositifs en ligne actuels montraient quelque consistance et semblaient bien partis pour s’implanter durablement, à la différence par exemple des hypertextes gravés sur des CD-ROM ou des MOOCs aussi massifs que lourdauds. Je n’avais à cela aucune objection de fond. Mais, n’ayant plus tant d’années d’activité devant moi, j’étais bien décidé à éviter l’effort d’investissement requis par ces dispositifs. Bref, Papy faisait de la résistance. Rien d’héroïque, les pressions étant pratiquement inexistantes. Il suffisait de rester dans l’ombre. Je n’y étais d’ailleurs pas seul.

Dans la semaine où « tout a basculé » (celle du 7 mars), j’avais vu des collègues organiser entre eux, spontanément, des séances de tests et d’échanges sur l’usage de la plate-forme Blackboard Collaborate. Leur excitation était communicative et je les avais accompagnés une fois, plus par amusement que dans l’idée de me former. Le dimanche 15 mars, j’ai réalisé que je n’avais plus le choix. Le lendemain à 10h j’avais deux heures à assurer, et deux autres à 14h. J’ai consulté un document de lancement rapide, regardé quelques vidéos pour connaître les manipulations de base et fait un essai à vide sur la plate-forme. Mais j’ai surtout travaillé sur ma présentation (Powerpoint). Je pressentais qu’il fallait lui donner une cohérence bien supérieure, chose dont je ne me soucie pas trop habituellement, puisque je suis là pour fabriquer cette cohérence en direct.

Lundi matin, miracle, tout semble fonctionner. Les étudiants se connectent. Je suis surpris qu’ils ne partagent pas leur vidéo pour la plupart. Ma question sur ce sujet reste sans réponse. Mes autres questions aussi, d’ailleurs. Un des étudiants, me prenant sans doute en pitié, partage alors sa vidéo et me donne des indications sur la qualité de la réception et sur d’autres difficultés d’interaction. Ce groupe a une expérience de la plate-forme, puisqu’il a, juste avant mon cours, un cours à distance donné par un de mes collègues les plus investis dans ce domaine. Je tente le chat et j’obtiens quelques réponses et quelques questions, ce qui me rassure en partie. Mais le plus simple est encore de partager ma présentation et de me mettre à parler. Pendant un long moment je suis gêné par l’absence de feedback. Qui m’écoute ? Qui comprend ? L’étudiant compatissant m’assure que tout va bien, que si les autres ne disent rien c’est qu’ils n’ont rien à dire. Et puisque j’ai l’air d’y tenir tellement, il se charge lui-même de poser des questions. J’avance donc inconfortablement face à ces visages absents et muets. Et puis, sans m’en rendre compte, je les oublie. Mon public n’est plus péniblement inaccessible, il est naturellement lointain. Je fais de la radio. Je développe un discours plus continu et plus structuré qu’habituellement, tout en m’aventurant dans des développements improvisés. Mon registre de langage, habituellement plutôt proche du langage parlé, passe à un niveau nettement plus châtié. Je fais de la radio, mais sur France Culture. Et je me sens tout à fait à l’aise.

Je n’ai aucune idée de la réception de tout cela par les étudiants, sinon qu’elle n’a pas été dramatique au point qu’ils sortent de leurs limbes électroniques. Mon étudiant-témoin avait l’air, lui, plutôt satisfait. Mais n’était-il pas devenu, de fait, mon assistant ? Quelques commentaires et des « merci » ou « au revoir » postés sur le chat me laisse penser que la souffrance n’a pas été insupportable. Mais peut-être était-ce parce qu’ils s’étaient recouchés.

Dans les trois autres sessions que j’ai eues avec ce groupe, j’ai pu expérimenter davantage l’usage du chat, qui m’a paru un outil intéressant. Entre-temps, j’ai eu des conseils techniques et pédagogiques d’un des spécialistes de l’ESCP, ainsi que de nombreux « trucs » et témoignages partagés par les collègues. Je m’en suis pourtant globalement tenu à ce format assez fruste, par manque de temps et par sécurité, mais aussi parce qu’il m’a donné (égoïstement) un certain plaisir. Ce n’est pas tous les jours qu’on passe sur France Culture…

Campuses