Retour sur le 43ème Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 de la Chaire ESCP BearingPoint Retailing 4.0

Pour la première fois depuis deux ans, l’indice des prix des PGC est repassé au-dessus de la ligne de flottaison en novembre dernier, à + 0,04 % selon Iri. A ce retour de l’inflation s’ajoute l’augmentation du prix des matières premières. Entre les retards de production suite aux dé- fauts d’approvisionnement et la baisse de marge des producteurs, les industriels font face à de nouveaux défis.

Quelles initiatives, les fournisseurs prennent-ils pour sécuriser leur production ? Quelles sont les évolutions possibles sur le prix des produits dans le commerce ?
Quelles solutions les distributeurs peuvent-ils mettre en place afin de préserver le pouvoir d’achat du consommateur ?

Pour répondre à ces questions, le Professeur Olivier Badot, Directeur Scientifique de la Chaire et Professeur à ESCP Business School et Elisabeth Denner, Présidente de la Chaire et Associée chez BearingPoint, accueillent :

-    Le Professeur Jean-Marc Daniel, Professeur émérite à ESCP Business School,
-    Serge Briet, chef produit acheteur chez Truffaut,
-    Thomas Maurisset, VP Supply Chain chez Valrhona,
-    Céline GOSCH, Directrice Générale chez Sofivet.

Le Professeur Jean-Marc Daniel a tout d’abord proposé un éclairage historique et théorique sur l’inflation.
S’en est est suivie la présentation de trois exemples d’adaptation à cet environnement de hausses des prix : Serge Briet (acheteur chez Truffaut), Thomas Maurisset (Vice-Président supply chain chez Valrhona et Celine Gosch (Présidente de Sofivet).
 

Lecture historique des phases d’inflation et leur impact sur la consommation et le commerce

L’inflation au cours des dernières décennies

Au sein de l’OTAN, les grandes poussées inflationnistes sont essentiellement liées aux guer- res, avec des déficits budgétaires colossaux (43% de déficit budgétaire en 1943 pour la France).
L’inflation des années 1960-1970 est due au déficit budgétaire et à une distorsion entre l’évo- lution de la productivité et l’évolution des salaires.
Puis une politique restrictive et conventionnelle de hausse des taux fut mise en place.
Le Professeur Jean-Marc Daniel souligne une réelle rupture chez les politiques, dans leurs rapports à l’inflation. Dans les années 1945-1979, les revenus servaient de variable d’ajustement à travers un contrôle des prix et des négociations salariales. Depuis Carter, l’inflation est maîtrisée par une politique monétaire et par une concurrence accrue.

Inflation ou effet Cantillon ?

Pour le Professeur Daniel, il est nécessaire de faire une distinction entre inflation et hausse des prix. Selon l’Insee, l’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Elle est liée à la consommation et touche direc- tement l’activité commerciale. Elle doit être distinguée de l’augmentation du coût de la vie, elle-même définie comme une évaluation du coût moyen des dépenses de consommation des ménages, dans une région donnée.
Pour qu’il y aie inflation, il est nécessaire que l’ensemble des prix augmente pratiquement au même rythme.
Il existe également des situations où certains prix, seuls, augmentent avec des déformations, du pouvoir d’achat d’une part, et des prix d’autre part, entraînant un pouvoir relatif des opérateurs économiques.
Cette situation s’appelle l’effet Cantillon qui, selon le Professeur Daniel, pourrait correspondre à la situation actuelle.

Raisons expliquant les augmentations tarifaires

En reprenant les principes développés par Nicholas Gregory Mankiw, le Professeur Daniel souligne l’importance des points suivants :
-    « Le pouvoir d’achat d’un pays dépend de sa capacité à produire des services », ce qui signi- fie que le revenu doit correspondre au niveau de production.
Si la production ne suffit pas au regard de la distribution de revenus, un gap inflationniste, comme l’appelle Keynes, s’installe. La distorsion entre offre et demande qui résulte, est résorbée, soit par une hausse des prix, donc de l’inflation, soit par un apport extérieur de pro- duction, donc des importations.
Actuellement, la France connait une déconnexion de sa production et de son pouvoir d’achat conduisant à ce gap inflationniste. Elle distribue du revenu par une augmentation de la dette augmentant le déficit budgétaire et créant potentiellement de l’inflation.
-    « A court-terme, il existe un arbitrage entre inflation et chômage », c’est-à-dire que l’inflation découle de la disparition de la concurrence sur le marché du travail.
-    « La liberté des échanges peut améliorer la situation à tous ». Les importations constituent un moyen de compenser le gap inflationniste.
-    « Les marchés en situation de concurrence sont généralement un bon mécanisme d’organi- sation de l’activité économique”.

Rapport entre prix à la consommation et inflation

L’augmentation des prix aujourd’hui, est-elle liée à une tendance générale ou à l’évolution du prix des importations et des chocs pétrolier ?
Pour pouvoir interpréter les chiffres, les économistes ont créé un indicateur : l’inflation hors chocs pétrolier, hors choc sur les matières premières alimentaires.
 

pénurie des matières premières


Le graphique retranscrit l’inflation sous-jacente (courbe bleue), l’indice des prix à la con- sommation calculé par l’Insee (courbe rouge) et l’IPCH calculé par Eurostat (courbe jaune). Nous constatons que le coeur d’inflation se situe quasi-systématiquement en dessous de 2% (objectif usuellement adopté par les banques centrales).
Les poussées inflationnistes sont dues aux importations, aux dévaluations ou aux augmenta- tions du prix du pétrole. Le pouvoir d’achat a globalement été maintenu mais la productivité conduisant à un déficit budgétaire et un déficit extérieur est décorrélée. L’origine de la haus- se des prix s’oriente donc plus sur un effet Cantillon que de l’inflation.
Pour maintenir le pouvoir d’achat, il est nécessaire d’augmenter la productivité ou de main- tenir un déficit budgétaire. Cette dernière solution définit un niveau de revenu non compatible avec la production et génère un déficit extérieur important affaiblissant le pays concerné.
En Allemagne, les excédents systématiques permettent à l’économie d’investir dans les pays étrangers notamment en France. Les reformes d’Italie, après 2012, ont conduit à une baisse du pouvoir d’achat en raison d’une baisse de productivité mais a induit une réduction du déficit extérieur. La France, quant à elle, révèle un avoir extérieur net négatif de 700 Milliards d’euros, ce qui signifie qu’elle possède moins d’investissements à l’extérieur de ces frontières que les investisseurs étrangers en France. Le pouvoir d’achat a été maintenu par de la dette détenue par des investisseurs étrangers.

Conclusion

Au final, nous ne sommes pas dans une période d’inflation car il n’y a pas d’augmentation générale du niveau des prix. Nous constatons plutôt un effet Cantillon qui sera amplifié par la nécessité de basculer la fiscalité traditionnelle vers une fiscalité carbone.
En effet, le système fiscal français évalue la tonne de carbone à 44€ contre 180€ en Suède. Le prix de l’énergie augmentera logiquement.

Ainsi, en synthèse :
1.    Le mot inflation n’est pas approprié ; nous sommes dans une situation plutôt d’effet Cantillon.
2.    Cet effet Cantillon se concentre sur les matières premières alimentaires et l’énergie
3.    Un solution pour réduire les distorsions et le gap inflationniste serait de réduire le déficit budgétaire
4.    Pour réduire la hausse de prix (notamment alimentaire), les Banques Centrales doivent augmenter les taux d’intérêt pour maintenir les taux de change voire les aug- menter.

Impact de l’effet Cantillon sur la supply-chain

Problématiques liées à l’actualité récente

Serge Briet, acheteur au sein de l’entreprise Truffaut, souligne l’importance de la politique fournisseur de l’entreprise qui compte 2800 collaborateurs, 550 millions de CA et 420 000 m2 autour de la maison, le jardin et les animaux. Cette politique consiste à mettre en place un réel partenariat avec les fournisseurs en intégrant des contrats de long terme permettant de sécuriser les flux. Soixante-dix pour cent des achats se réalisent auprès de sociétés françaises et 74% des végétaux d’extérieur sont approvisionnés en France.
Dans le cadre de son activité, Serge Briet souligne l’importance des coûts de transport. Les variations récentes de ces coûts, notamment depuis l’apparition du Covid19, sont difficilement tenables pour les partenaires.
Au delà de l’augmentation des coûts de transport, l’énergie augmente que ce soit au niveau du gaz ou de l’électricité.
Les contrats sécurisant les prix arrivant à terme, il s’agit d’une réelle problématique pour l’en- treprise et pour ses fournisseurs.
Cette situation conduit à une augmentation des coûts de fonctionnement.
L’évolution des prix des matières premières entraîne de fortes hausses du prix des produits, le PVC a augmenté de 69% entre 2020 et 2021 et de 44% de janvier à juin 2021. Le bois et les palettes ont vu leur prix augmenter de 300%, les rouleaux film plastique de 78%.
Le prix du transports de conteneurs est passé de 2 500 à 150 00 euros, voire plus conduisant à revoir les politiques d’importation.

pénurie des matières premières
Concernant le métal et le bois, la guerre en Ukraine joue également un rôle important et influence les relations commerciales avec la Hongrie et la Roumanie, pays limitrophes.
L’alimentation animale est également concernée car l’Ukraine et la Bulgarie ont développé un savoir-faire pointu dans ce domaine, avec des normes élevées.
La guerre conduit à remettre en cause certaines relations notamment avec la Russie, malgré un important développement du marché intérieur dans le jardinage.

Donner une vision sur l’évolution des tarifs est devenu quasiment impossible à l’heure actuelle, même à 6 mois seulement.
Devant cette incertitude, plusieurs questions se posent :
(i)    Quelle stratégie adopter ?
(ii)    Faut-il accepter les nouveaux tarifs et maintenir une stabilité des fournisseurs ?
(iii)    Est-il nécessaire de repenser l’assortiment ?
(iv)    Faut-il optimiser les choix de stockage ?
(v)    Dans quelle mesure faut-il répercuter la hausse du prix des matières premières sur les prix finaux ?
(vi)    Faut-il adopter une posture de suiveur et observer la concurrence, ou de leader en se positionnant directement ?
 

Dans un premier temps, l’entreprise Truffaut a choisi d’anticiper l’augmentation des prix en renforçant son stock (+25% en valeur). Une augmentation progressive des prix se fera sans doute sentir, tout en tenant compte des modifications du comportement des clients.

Problématiques liées à la pandémie et aux crises actuelles

Thomas Maurisset, Vice Président supply-chain chez Valrhona, souligne la complexité de la situation depuis la pandémie et les crises actuelles. Un nouvel équilibre dynamique est mis en place dans un contexte très « VUCA » (Volatile Incertain Complexe Ambigüe).

Agilité de la supply chain

La supply-chain doit est rester agile face aux problématiques posées par la pandémie, l’augmentation des coût des matières premières et du fret (prix des conteneurs), la pénurie de la main d’oeuvre, la déréglementation douanière, les tensions géopolitiques et les enjeux RSE.

Mise en place du SnOP

Robustesse de la stratégie et agilité doivent donc intégrées au sein même de la supply-chain.
Dès 2020, l’agilité a été une priorité pour Valrhona. L’entreprise s’est concentrée sur le court terme, sur le pilotage des stocks et sur la protection du client. La sécurisation de l’activité sur toute la chaine est une priorité nécessitant non seulement une transversalité et une communication continue vers les clients, mais aussi un accompagnement des équipes.
La robustesse consiste à mettre en place des process à la fois solides et souples tout en construisant une vision long terme.
Le modèle SnOP (Sales & Opérations Planning) est alors mis en oeuvre afin de relier les ambitions commerciales aux capacités de production. Les processus sont revus, de nouveaux outils technologiques visent à traiter les données avec agilité et pertinence.

pénurie des matières premières
Sur le plan stratégique, l’entreprise se repositionne sur le long terme avec une réflexion sur l’organisation des réseaux, la mise en place d’un schéma directeur logistique et l’activation de nouveaux leviers pour capter les signaux du marché nécessitant une adaptation.

Difficultés d’approvisionnement

L’inflation et la pénurie des matières premières concernent autant les matières stratégiques que les MICAE (Matières Incorporables, Consommables, Additionnelles et Emballages). Cette hausse des prix est due aux aléas climatiques réguliers et à l’augmentation du prix de l’énergie.
Pour y faire face, il est nécessaire de s’adapter et d’avancer par étapes face à une augmentation de la demande couplée à une augmentation du prix du conteneur allant jusqu’à 400%, et des délais de livraison doublés voire triplés.
La supply-chain doit donc faire face à une forte demande avec une production amont qui dépend de ses ressources humaines et matérielles, de stocks réduits voire en flux tendus et une filière soumise à des risques. Cette situation nécessite une réactivité certaine, conduisant à repenser le modèle opérationnel de la supply-chain.

RSE et sécurisation des circuits

La notion de durabilité est devenue centrale, notamment en ce qui concerne les fournisseurs, conduisant à l’installation de relations fortes à long terme. L’accompagnement des clients et des fournisseurs est devenu indispensable. La sécurisation avec un double ou triple sourcing est également central.
En outre, les problématiques RSE vont au-delà de simples certifications et visent à améliorer l’empreinte planétaire des entreprises avec 3 enjeux : People, Planet, Profit. De ce fait, elles impliquent une innovation produit, un travail sur la durabilité en amont et aval, et donc une remise en question de l’utilisation de certaines matières premières et la recherche d’alternatives le cas échéant.
La traçabilité en amont est un élément fort permettant une visibilité des stocks, une sécurisation de l’approvisionnement, un renforcement de la structure grâce aux process et aux outils mis en place.
En aval, la logistique circulaire vise à réutiliser les matériaux et à éviter le gaspillage. La massification des exports, la réalisation d’une production plus proche du consommateur, l’utilisation de carburants alternatifs sont autant d’initiatives qui font évoluer l’empreinte environ- nementale de l’entreprise.
La question de la traçabilité se pose également pour évaluer l’empreinte carbone de l’entreprise. Ces informations sont intégrées au système SnOP, centralisé et performant, qui consiste à aligner le commerce avec les capacités de production et s’assurer de l’adaptation des moyens mis en place pour approvisionner les canaux de distribution. Cette démarche s’appuie sur des solutions digitales avec des notions d’efficience, de gains financiers et d’économies.
Ainsi, dans le cadre de la supply-chain, une remise en cause du schéma de distribution en intégrant une notion forte de productivité, est définie. La mutualisation des différents sites, la massification des volumes, la possibilité de réaliser des conteneurs multi-produits pour un client, et la notion de livraison du dernier km sont autant de problématiques à traiter.
Répondre aux attentes clients, c’est aussi l’influencer pour le faire évoluer vers une approche end-to-end et RSE, et lui faire une proposition de valeur qui réponde à la fois à sa demande et à l’empreinte souhaitée sur la planète.
Ainsi, recherche de matières premières et hausse des prix s’intègrent dans un environnement complexe et instable qui font évoluer la supply-chain.

Adaptation d’une stratégie d’entreprise pour rester pérenne

Céline Gosch est présidente de Sofivet, spécialiste de l’alimentation pour chiens et chats chez les vétérinaires. Le marché du pe(ood est très dynamique avec un marché en croissance de 7% en 2020.

Un marché porteur

Plus de 43% des français possèdent au moins un chat ou un chien. Les animaux sont de plus en plus nombreux et vivent de plus en plus vieux avec une prise de conscience de la part des propriétaires d’une nécessaire alimentation animale de qualité. Sofivet est sur un marché de niche celui du pet food physiologique en vente chez les vétérinaires avec un facteur de différenciation majeur : son rapport qualité-prix.
Pour Mme Gosch, il s’agit de s’interroger sur la meilleure manière d’adapter la chaine de valeur face à un marché concurrentiel.

Des hausses de prix majeures

La hausse des prix des aliments vétérinaires s’explique notamment par la hausse des prix des matières premières, la hausse des transports et l’augmentation du prix des emballages.
Dans son activité, les matières premières essentielles sont la céréale et la viande/graisse animale qui ont connu une forte augmentation : 38,5% pour la céréale depuis octobre 2020, 36% pour la viande et 41% pour la graisse animale.
Le prix de la céréale augmente encore en raison notamment d’un sur-stock en Asie qui est devenu le premier importateur mondial et de la diminution des volumes récoltés à cause du dérèglement climatique.
La guerre en Ukraine augmente encore la pression sur ce type de matières premières.

D’autres facteurs expliquant les difficultés d’approvisionnement

Concernant les productions carnées, il y a une augmentation de la raréfaction des co-produits indispensables au pe(ood. Cette raréfaction est due en partie à la baisse de la consomma- tion Restaurant Hors Foyer, entrainant une moindre demande dans les lieux de restaurant collective, donc une moindre production de co-produits avec une hausse de prix de farines de volaille.
Les problèmes de maladies telles que la grippe aviaire, la Fièvre Porcine Africaine (FPA) conduisant à la décimation de nombreux élevages augmentent la pression sur les prix.
Concernant les graisses animales, celles-ci sont devenues un nouveau biocarburant conduisant à augmenter la demande et possiblement à faire augmenter son prix.
Ce manque de disponibilité mondial nécessite une adaptation. Afin de faire face à cette situation, il est nécessaire de renforcer les liens avec les fabricants et de sécuriser les prix.
Les garanties apportées par les fabricants sont primordiales. De véritables partenariats avec les fournisseurs doivent être mis en place afin de sécuriser la production en qualité, quantité et prix.

Campuses